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Les assureurs face à un risque comptable

En 2005, toutes les sociétés européennes cotées en bourse devront établir leurs comptes consolidés selon des normes identiques et mondiales. Jusqu’à présent les travaux de l’IASB (l’instance privée chargée d’établir les nouvelles normes comptables internationales) n’ont pas soulevé de grands débats. Le choix d’appliquer des principes identiques dans tous les secteurs d’activité, privilégiant la transparence et la comparabilité est admis par tous et permet d’avancer rapidement. Tel n’est plus le cas dans le domaine des assurances, où l’IASB étudie la mise en place d’une norme spécifique qui suscite de plus en plus de doutes et de contestations, même si celle-ci est proche de ce qui existe aux Etats-Unis. M. Jean-Luc de BOISSIEU, secrétaire général du GEMA (Groupement des Entreprises Mutuelles d’Assurance) dans un souci de lancer le débat sur les travaux en cours de l’IASB explique pourquoi cette démarche est porteuse de danger pour les entreprises du secteur de l’assurance.

A l’heure actuelle, il existe en assurance de multiples conceptions, et systèmes de comptabilité. En Europe même, les directives d’harmonisation minimale de 1991 ont laissé perdurer des systèmes nationaux hétérogènes de sorte que l’Europe aborde les discussions au niveau mondial sans faire front uni et sans avoir aucun système commun à proposer aux autres continents. Le projet de norme assurance tel qu’il se dessine aujourd’hui prévoit d’évaluer les actifs et les passifs à leur juste valeur ( fair value) c’est-à-dire « le montant pour lequel un actif pourrait être échangé ou un passif réglé entre des parties bien informées et consentantes, dans le cadre d’une transaction effectuée dans des conditions de concurrence normale ».
Si la valorisation des actifs cotés sur un marché réglementé ne pose pas de problème, il n’en va pas de même des actifs non cotés et surtout des passifs des assureurs : c’est pour l’évaluation de ces derniers qu’une norme s’impose.

La nouvelle norme en préparation, d’inspiration anglo-saxonne, rompt avec la pratique française sur deux points fondamentaux : elle se cale sur les contrats, et non plus sur les entreprises d’assurances ; elle privilégie l’approche bilantielle visant à donner une valeur aux contrats en portefeuille alors qu’actuellement c’est la formation du résultat avec la prise en compte immédiate des primes et des charges qui est mise en avant. La comptabilité des assurances porte aujourd’hui sur les opérateurs –les entreprises d’assurances- à la fois parce que la réglementation européenne les spécialise dans cette activité et parce que l’objectif de l’entreprise est de maintenir l’adéquation entre les passifs, c’est-à-dire les engagements contractés envers les assurés, et les actifs pour y faire face.

La comptabilité est construite sur l’entreprise parce que c’est elle qui prend l’engagement, qui mutualise les risques et qui garde les fonds pour régler indemnités ou capitaux.
Les normalisateurs internationaux ont décidé que, dans tous les secteurs d’activité, ce serait désormais le contrat qui sera le socle des règles comptables. Mais comme le contrat d’assurance est pour le moins complexe et spécifique, ils ont donné leur définition du contrat d’assurance –qui s’appuie sur la notion de risque et ce faisant qui évince probablement du domaine de l’assurance les quelque 100 milliards d’euros d’assurance¬vie collectés chaque année sur le marché français au motif que ces contrats comportent une grosse part de risque financier et une petite part de risque dit d’assurance. Avec ce système, les entreprises d’assurance-vie devraient passer chaque année en revue tous leurs contrats et apprécier ceux qui, au vu de leurs caractéristiques, devraient être traités comme des produits d’assurance et ceux qui tomberaient dans la catégorie des produits financiers ordinaires, avec des risques d’arbitraire et des conséquences fiscales difficiles à anticiper.

Dans le système comptable actuel, les produits certains et les charges certaines ou probables nées dans l’exercice sont admis en compte de résultat. Chaque année, les primes, les produits financiers et les commissions de gestion sont mis en regard des charges supportées par l’entreprise telles que les capitaux et les indemnisations versés ou provisionnés, les frais de gestion et de commercialisation des contrats... Quand bien même le contrat serait pluriannuel, seule la perte probable (et jamais le gain probable) estimée sur les années futures est enregistrée à l’origine.
L’approche IAS est radicalement différente. Elle n’est plus fondée sur le résultat de l’exercice mais sur la variation d’une année sur l’autre de la valeur des contrats. Chaque année, l’entreprise devra évaluer et comptabiliser la valeur des contrats qu’elle a commercialisés durant cette année, la valeur immédiate de chaque contrat correspondant à la somme actualisée des marges qui seront attendues sur toute la durée de vie du contrat. Le résultat (ou selon l’IASB, la performance) de l’entreprise correspondra aux différences de valorisation des contrats et donc des bilans d’une année sur l’autre. Cette méthode conduit à bouleverser la structure des comptes : aujourd’hui le résultat se déverse dans le bilan ; demain ce sera l’évolution de la situation bilantielle qui constituera le résultat.

Un exemple pour illustrer ces propos. Soit un contrat souscrit pour 10 ans dans lequel un assuré verse une cotisation de x euros. Compte tenu des charges auxquelles l’entreprise d’assurance doit faire face, on suppose que la marge annuelle sur ce contrat est de 50. Dans une approche traditionnelle, chaque année pendant 10 ans, un bénéfice de 50 sera enregistré. Dans l’approche IAS, il conviendra de mesurer dès l’émission du contrat la valeur de ce contrat. En négligeant l’effet de l’actualisation, cette valeur est de 500 (50 x 10 ans) et le résultat de la première année sera donc de 500. Par la suite, la valeur au bilan du contrat se réduira de 50 chaque année et sera compensée par le bénéfice annuel constaté sur le contrat, si bien que le résultat des exercices à venir sera nul.

Cette construction est nouvelle : il est donc permis de réfléchir à ses incidences, surtout si elle doit s’appliquer dès 2005. La faillite d’ENRON a montré combien la comptabilisation immédiate de bénéfices futurs sur de longues périodes est un exercice périlleux. Cette méthode est faite pour faire ressortir non la rentabilité, mais la valeur des entreprises, et donc pour donner à l’investisseur une estimation « scientifique » de son action. En termes de faisabilité, on peut nourrir doutes et inquiétudes.

- En assurance, comme peut-être dans d’autres secteurs, l’évaluation des bénéfices futurs de chaque contrat dépend directement des hypothèses que l’on retient. A l’heure actuelle il n’existe pas de modèle unanimement reconnu pour évaluer des contrats d’assurance ; les travaux, les recherches qui sont menés aujourd’hui ont un caractère largement expérimental et de ce fait ne peuvent pas servir à l’établissement de comptes fiables.
Pour évaluer la marge future sur ses contrats, l’assureur doit faire des hypothèses, des simulations sur tous les paramètres qui peuvent influer sur la vie des contrats : probabilités de survenance du ou des risques, stabilité ou évolution de la jurisprudence, évolution des taux d’intérêt, changements de comportement de l’assuré, modifications de la fiscalité… Avec de telles variables et inconnues, l’établissement des comptes va devenir un exercice éminemment subjectif, pour les dirigeants comme pour les commissaires aux comptes qui, jusqu’à présent, se sont toujours refusés à certifier des bénéfices hypothétiques.

- La lisibilité des comptes risque également d’en pâtir non seulement parce qu’il faudra s’habituer à ne plus parler de chiffre d’affaires, de primes ou de sinistres mais surtout parce que la valorisation du portefeuille dépendra du cumul de deux éléments erratiques : d’une part l’entrée des bénéfices futurs estimés sur les nouveaux contrats, d’autre part l’incidence des changements de conditions économiques, financières ou concurrentielles sur l’évaluation antérieure du stock de contrats en portefeuille. Quand on sait qu’aujourd’hui en France le stock des provisions mathématiques représente sept fois le montant du chiffre d’affaires del’assurance-vie, on imagine les conséquences que peuvent prendre de faibles variations de tels ou tels paramètres.

- La comparabilité des comptes risque de devenir difficile, voire impossible, d’un assureur à l’autre. Chacun expliquera que ses hypothèses de calcul de marges sont liées à la spécificité de ses contrats, de ses propres statistiques relatives aux recours en assurance de dommages ou aux taux de sortie en assurance-vie, des usages des marchés nationaux…

- La volatilité des résultats sera encore plus forte demain qu’aujourd’hui car le taux d’actualisation retenu pour ramener à la valeur du jour les bénéfices prévus pour les années à venir évoluera dans le même sens que les taux d’intérêt et aura donc un effet amplificateur, d’autant plus fort que les variations seront fortes.
- Les nouvelles normes comptables s’appliqueront en principe aux comptes consolidés, pas aux comptes sociaux : si cette dichotomie est consacrée, il en résultera l’obligation pour les sociétés d’assurance d’établir au moins deux jeux de comptabilité selon des normes différentes. Pour éviter d’entrer dans de telles complications, il faudrait appliquer également les nouvelles normes aux comptes sociaux avec le risque que les actionnaires établissent un lien direct entre le montant des dividendes et les hypothèses qui sous-tendent les comptes ; les dirigeants seront soumis à une forte pression, alors même que la méthode comptable retenue devrait les inciter à la plus grande prudence.

Si ces craintes sont fondées, alors on peut dire que ces normes exposent le secteur des assurances à un véritable risque comptable, susceptible de menacer sa solidité et la confiance que le public doit avoir en lui.

Le plus étonnant dans ce dossier est la difficulté dans laquelle se trouvent les assureurs du monde entier à débattre entre eux du sujet, à faire entendre leurs analyses et leurs divergences d’appréciation, tant l’affaire a été bien verrouillée par certains lobbies.

Qui discute aujourd’hui des normes comptables internationales ? Les autorités prudentielles ou comptables ou boursières ? Absolument pas ; ce sont des représentants de quelques grands groupes cotés, des grands investisseurs et des grands cabinets d’audit qui se sont cooptés et appropriés le droit de fixer les futures normes comptables et de les imposer au monde entier de telle sorte que personne n’a autorité sur eux. Les gouvernements se sont déchargés sur l’Union Européenne du soin, non de négocier, mais de suivre en silence les travaux et d’introduire en droit européen les nouvelles normes internationales au fur et à mesure qu’elles sortiront.

L’Europe a fait le choix d’adopter les nouvelles normes internationales avant même de les connaître : comme si les normes comptables n’influaient pas sur la gestion des entreprises, n’avaient pas d’incidences fiscales pour les Etats, ne traduisaient pas une conception du marché et de la société ! Rien n’est définitif cependant sur ce dossier et la discussion ne fait que commencer. Les banquiers ont montré la voie en obtenant l’abandon des normes que l’IASB leur destinait.



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